« La destruction des cartes d’électeurs est une autre forme d’abstentionnisme »

Pr. Manassé Aboya Endong, enseignant de science politique, directeur exécutif du Groupe de recherche sur le parlementarisme et la démocratie en Afrique (Grepda).

Ces derniers jours, certaines personnes ont choisi de détruire leurs cartes d’électeurs et publient ces images sur les réseaux sociaux. Quel regard jetez-vous sur ce fait ? 
D’emblée, il faut indiquer que la charge symbolique de ces modes populaires d’action politique qui empruntent à la défiance et à l’indocilité est forte. En effet, le sens qu’on peut donner et l’interprétation qu’on peut en faire est tributaire d’une analyse qui intègre à la fois des éléments de synchronie et de diachronie. Il y a d’abord la part du narratif mobilisé par les fanatiques et inconditionnels d’un certain leader politique sur l’administration électorale au Cameroun. De nombreux morceaux choisis desdits narratifs préfiguraient déjà de cette forme de contestation violente, notamment lorsque ces fanatiques prenaient à partie les institutions en charge d’organiser le scrutin présidentiel au Cameroun. Il y a eu ensuite le discours pessimiste du leader politique dont la disqualification suscite ces formes anti-républicaines de contestation politique qui empruntent aux modes non conventionnels de participation politique. 
Ce discours résolument insurrectionnel prononcé à plusieurs occasions est une variable explicative de ce qui s’observe, notamment la campagne de médiatisation de la destruction des cartes d’électeurs. Enfin, il y a dans ces comportements une forme de défiance politique contre les institutions de la République avec, en filigrane, un message clair : la disqualification de la candidature mal engagée du leader politique en question signifie, pour ses fanatiques, que le changement n’est plus possible par le mode conventionnel de participation politique par excellence qu’est le vote. Par conséquent, la campagne de destruction des cartes d’électeurs est un message fort en direction des autorités en charge du maintien de l’ordre. Pour des militants d’un parti politique qui s’est révélé en popularisant le slogan « faire la politique autrement », cette campagne de destruction des cartes électorales est une incohérence discursive de trop. 


Ces actes sont-ils répréhensibles au regard de la loi camerounaise ? 
Cette forme d’incivisme et de contestation politique participent d’une mise à jour opportuniste des modes populaires d’action politique dont le caractère répréhensible reste problématique. Si le législateur condamne la destruction des armoiries, des billets de banques et « la profanation » des institutions et symboles de la République, la question du caractère répréhensible des actes de destruction des cartes électorales reste, de lege lata, discutable en l’état actuel du droit positif. La raison en est que la détention d’une carte d’électeur est une démarche volontaire dans un système juridique où le vote est optionnel et non obligatoire. Sous ce rapport, la destruction des cartes d’électeurs est une autre forme d’abstentionnisme, un substitut fonctionnel du boycott que le législateur ne punit d’aucune peine. Donc, on peut assimiler ces actes à une forme active de boycott. Pris dans ce sens, le caractère répréhensible de ces actes reste discutable, sauf si ces actes peuvent être qualifiés de trouble à l’ordre public en fonction de leur gravité et de leur mode d’expression individuel et/ou collectif.    


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